Je ne sais pas faire simple

Pim’s au saumon

Les Mots Dits
4 min ⋅ 11/06/2024

Ça a commencé comme ça : Marine est partie au yoga, je lui ai proposé de décongeler du poisson qui traînait dans le congélateur, elle était ravie, on pourrait faire ça avec des asperges, simple et sain (à son image) (nota bene : simple, c’est un compliment hein ! c’est le contraire de compliqué, pas d’intelligent). Flash-forward quatre heures plus tard : j’ai envie de gerber, le Pim’s au saumon n’est pas bien passé.

Rentrée du yoga, elle a pris le relai avec Roman pour lui donner le biberon et le coucher, j’étais en train d’écrire et je lui ai dit que je m’occupais bien du dîner mais que j’allais faire simple, par contre.
— Je suis désolé mais… j’ai méga la flemme, je lui ai dit.
— Mais oui, très bien ! Sel, poivre, huile d’olive, c’est parfait.

Qu’à cela ne tienne.

La dernière fois que j’ai fait du saumon, j’ai préparé la marinade que mon père nous cuisinait, sauce soja et sirop d’érable (le passeport canadien, ça se mérite). J’avais juste ajouté un peu de sauce barbecue japonaise qu’on avait dans le frigo, c’était bien doux, de la fish sauce, je sais pas trop ce que c’est mais fish avec le saumon, pourquoi pas, et quelques pistaches pour le croquant. Marine m’avait dit que c’était bon mais qu’elle avait quand même un peu l’impression de bouffer du granola, fair point. Après, moi, j’aime bien le granola. Mais c’est vrai que généralement, je le prends sans poisson.

Enfin bref, je me suis dit que cette fois-ci, j’allais pas faire ça parce que la sauce soja, c’est drôlement salé et la sauce barbecue, c’est bien sucré (sans parler du sirop d’érable), niveau indice glycémique c’est pas top, Marine se saigne au yoga, je vais pas lui infliger ça à peine rentrée. Alors je suis allé chercher dans le placard une échalote, ça va une échalote, c’est pas la mer à boire une échalote. Bon, sauf qu’on n’en avait plus. Alors j’ai pris un oignon, plus très frais l’oignon mais ça va, t’enlèves le bout un peu pas beau et c’est comme s’il n’avait jamais existé, et puis bon, on va pas gâcher non plus. Là, je tombe sur quoi ? Des pommes de terre ! Je ne sais pas depuis combien de temps elles sont là mais ça ne date pas d’hier, et pourtant elles sont en pleine forme. Parfait ça, des pommes de terre. Avec du poisson, ça fait plaisir à tout le monde. Je ressors donc du placard avec un oignon, un sachet de pommes de terre. Et une orange. Elle traînait là, pas moi qui l’avait achetée non plus, pourtant Marine n’en mange pas, enfin bref, faut pas gâcher, et puis l’orange c’est bon, c’est sucré, avec du saumon ça peut le faire. 

Marine, pendant ce temps-là, est en train de commencer à endormir Roman, je l’entends le bercer et j’avoue que je sors discrètement du placard avec tous mes ingrédients, on a commencé à diverger du programme initial mais je me dis que ça lui fera plaisir, elle va le coucher et quand elle reviendra dans le salon, elle aura un petit dîner sympa qui sera prêt.

Qu’à cela ne tienne (bis).

Je coupe les oignons, les pommes de terre, je les mets dans un plat, un peu d’huile, pas trop, du zeste d’orange pour le prestige, du piment d’Espelette pour la couleur, et puis il faut mettre de l’eau pour que ça cuise, enfin si on veut pas mettre trop d’huile quoi. Alors je mets un peu d’eau bouillante dans une tasse, et puis qu’est-ce qui traînait par là ? Des feuilles d’une tisane que je m’étais faite en fin d’après-midi pour me détendre, c’est peut-être de la faute de la tisane tout ça d’ailleurs, j’étais un peu trop détendu. Alors je les fous dans l’eau chaude, oh pas longtemps, quelques dizaines de seconde, juste pour donner un goût. Juste le temps, aussi, d’aller dans le frigo chercher du bouillon de légumes, ça donnera un goût à l’eau, aux pommes de terre et au reste. Hop, on fout ça dans l’eau, l’eau dans le plat, le plat dans le four – on est bons côté accompagnements.

Place au poisson ! J’ai donc sur le comptoir un petit bout de saumon, et deux petits bouts d’espadon. Je vais pouvoir… eh mais j’y pense : dans pommes de terre, y’a pomme. Je retourne dans le placard, on n’aurait pas une pomme qui traîne, ça pour le coup je sais qu’on en a toujours généralement, Marine en mange une chaque jour religieusement au goûter, une pomme par jour éloigne le médecin comme on dit, enfin visiblement pas l’anesthésiste qui vient de nous envoyer une facture bien salée pour la péridurale douteuse, facture qui traine encore sur le comptoir, mets-y donc un peu d’orange tiens, on verra si ça l’adoucit. Cela dit, le mec est réglo, il a piqué trois fois et il n’en a facturé qu’une. Enfin bref, c’est un autre sujet, et on s’en fout, la péri c’est la vie comme m’a dit la principale intéressée. Me voilà donc en train de couper une pomme en quartiers pour l’ajouter au plat dans le four, un petit duo pommes / pommes de terre là mmh, personne n’y avait jamais pensé à celui-là, c’est quand le prochain casting de Top Chef ? Merde, ça y est, le plat est trop petit et j’y ai même pas encore mis le poisson. Je passe ça dans le Creuset, ça fera un plat de plus à laver, c’est cool. 

Donc, place au poisson, disais-je. Je commence par presser un quartier d’orange dessus, et puis si on rouvrait le four presser un autre quartier d’orange sur les pom-pom de terre, les pauvrettes elles ont eu du zeste mais pas de jus, c’est pas une vie ça. Sa mère, je me suis brûlé, le revers de la main direct sur le grill en haut du four, j’avais qu’à sortir le Creuset au lieu de m’aventurer dans le four pour pas me faire chier. Ça part en eau froide mais pas trop longtemps, à la base je devais faire simple, j’ai un roman à terminer, ça fait cinq ans que je suis dessus, je vous ai raconté ?

On a dit qu’on faisait simple pour le poisson, donc on s’arrête là : huile d’olive, un trait de balsamique parce qu’on n’est pas des sauvages, le jus d’orange, sel, poivre, piment d’Espelette pour faire la liaison avec les accompagnements, petite feuille de sauge, et d’ailleurs tu sais quoi mon Julot, la sauge aussi ça ferait une chouette liaison entre main gauche et main droite, je vais aller en mettre dans l’accompagnement. Cette fois, par contre, je me ferai pas avoir à nouveau : je vais chercher un deuxième gant, on fait les choses bien. Et… que vois-je en allant chercher le gant ? Marine n’a pas bien refermé la tablette de chocolat qui git là, devant le tiroir, rangée hein mais à portée de vue, ça se dit, ça, à portée de vue ? Je suis pas certain mais ce que je sais, c’est qu’elle n’avait qu’à pas. Franchement, avec le saumon, avec l’orange, avec le balsamique… ça se tente, c’est un chocolat noir amer avec des petites amandes, j’en prends un peu hein, pas trop, faut savoir doser dans la vie, un carreau que je concasse et que j’applique. C’est bon, je peux mettre le poisson au four.

Marine a endormi Roman, tout a l’air prêt, plutôt bien cuit : on passe à table.
— Jules, t’as mis quoi dans le poisson… ?
Assieds-toi Marinette, tu vas pas en croire tes oreilles.
— Et du coup, les asperges ?

Merde, les asperges.

Les Mots Dits

Par Jules Fournier