C'est parce que je fais mille trucs à la fois, il faudrait que j'arrête mais là j'ai un truc sur le feu
Lundi dernier, je revenais d’une bière au Page avec un pote de Paris, de passage à San Francisco pour le boulot (et peut-être pour me voir un peu aussi ? il faudrait que je lui demande), j’avais pas bu grand-chose hein, une bière justement, je suis rentré et j’ai sauté à pieds joints dans un scam : moralité, j’ai perdu (beaucoup) d’argent en cryptos. Moralité bis : je fais trop de choses à la fois. Moralité ter : les cryptos… bon, ça, ce sera pour une autre fois.
Pendant l’écriture de ce premier paragraphe, j’ai : répondu à des messages Whatsapp, et plusieurs en plus, dans plusieurs conversations ; fait un câlin à Roman qui pleurait avant de le donner à Marine ; ouvert Le Monde au cas où il se soit passé des choses (nota bene : il se passe toujours des choses) ; commencé à regarder la bande-annonce d’un film dont Le Monde parlait, justement ; fait un biberon à Roman que Marine est désormais en train de lui donner ; ouvert L’Équipe, que j’ai refermé immédiatement (nota bene : le score de PSG-Dortmund ne changera plus, ça fait 3 semaines désormais) : j’ai un article à écrire, merde.
Ce lundi-là, donc, ma mère était repartie de San Francisco dans la matinée (🥲). Dans une conversation très maladroitement intitulée Adderall, du nom d’un médicament utilisé pour traiter les trouble du déficit de l’attention (!), où quelques copains (par ailleurs très sympas, faut pas se fier à ça croyez-moi) s’amusent à essayer de jouer aux traders-pirates type r/WallStreetBet, l’un d’entre eux avait flairé un bon coup sur l’action GameStop, l’achetant et nous suggérant de le faire par la même occasion. Il avait enchaîné avec le screenshot d’un tweet : le mec à l’origine du délire (absurde) autour de l’action GameStop lançait sa propre crypto, l’occasion promettait d’être énorme.
C’est là où j’ai honte. Honte, déjà, d’être dans ce genre de conversation. (Rappel : je suis de gauche) (rappel bis : je viens d’avoir un bébé, j’ai d’autres chats à fouetter). Honte, ensuite, de m’intéresser à ce genre de trucs (intéresser est un bien grand mot, mais assez visiblement pour que je le fasse…). Honte, enfin, de le faire n’importe comment en faisant douze mille trucs à la fois. Parce qu’évidemment, le tweet en question, c’était un scam. J’ai suivi diligemment les étapes proposées, mon seuil de vigilance était très bas, alors même que je sais que les cryptos c’est le far west et le lieu de l’entubade par excellence, mais il était très bas parce que le screenshot venait d’un copain, parce qu’il était tard, que j’avais bu une bière, que Marine endormait Roman en me demandant de m’occuper de commander l’indien que je voulais manger, que… etc., etc.
Moralité, j’ai fait ce que j’avais à faire : j’ai sauté à pieds joints dans l’embrouille. Rien de bien grave, c’est de l’argent, un peu d’argent, un peu plus qu’un peu d’ailleurs, mais rien d’important. Ce qui est intéressant (intéressant est un bien grand mot, mais assez visiblement pour que je l’écrive), c’est à quel point l’attention est une denrée rare – un truisme, mais qui s’est rappelé à moi avec acuité. On fait douze mille choses à la fois, et c’est vrai à plusieurs échelles : sur le moment, où un message un article un rien viennent bousculer le reste ; et, plus généralement, dans la vie, où les projets les envies essaiment et tant mieux ! tant qu’on sait les dompter, les domestiquer pour les faire avancer.
J’aurais aussi pu commencer cet article par mon expérience de dimanche dernier. Une Française à San Francisco avait posté un message sur Facebook pour dire qu’elle ouvrait son cabinet d’hypnose et qu’elle proposait aux trois premières personnes qui commenteraient une séance gratuite. Quand je l’ai vu, il y avait seulement deux réponses : la troisième, c’était moi. Alors je suis allé me faire hypnotiser la gueule. J’avais un peu d’appréhension, je ne vais pas vous le cacher, je me demandais bien ce qu’elle allait me faire et surtout ce qu’elle allait bien pouvoir faire sortir de mon esprit. En fait, pas d’hypnose type spectacle où les gens sont en-dehors d’eux-mêmes : je ne me suis pas retrouvé en slip à faire la poule (ou en tout cas, je ne m’en souviens plus). C’est plutôt une forme de méditation à laquelle elle m’a invité, un “voyage” pour reprendre ses termes, dans lequel je lui décrivais ce que je voyais. Elle en a tiré plusieurs conclusions, sur lesquelles je reviendrai peut-être, mais une qui est intéressante pour le propos du jour : elle m’a demandé à un moment de visualiser et décrire un arbre, mais vraiment dans ses moindres détails. Mon arbre à moi, il avait de nombreuses ramifications, plein de branches assez horizontales qui partaient dans tous les sens. Plus tard, elle m’a demandé de visualiser et décrire une maison, et dans ma maison, à l’étage, il y avait une buanderie où les machines tournaient en permanence.
— Mais les choses sont sales ?, elle m’a demandé.
— Non, au contraire ! C’est parce qu’elles tournent en permanence que tout est propre. C’est l’intendance, il faut que ça tourne pour que les serviettes, les draps soient prêts.
Quand on a eu fini cette méditation, ce “voyage”, elle s’est un peu marrée (sympa). Elle m’a dit que l’arbre, c’était la vision que j’avais de moi-même et que les branches, c’était les idées.
— Ça part un peu dans tous les sens, non ?, elle m’a dit. Mais c’est bien, il y en a plein, c’est riche – c’est très bien ! Et puis vous m’avez dit qu’on entendait des oiseaux, on ne les voyait pas mais on les entendait. Les animaux dans l’arbre, c’est l’instinct et les oiseaux, l’instinct de liberté. Il n’y en a peut-être pas énormément si on ne les voyait pas, mais on les entendait, donc ils sont bien là quelque part.
Soit.
— Ensuite, la maison, c’est votre psyché [rappel pour plus tard : allez voir la définition précise de psyché, mais pas tout de suite, là j’écris et je ne fais qu’une seule chose à la fois, d’ailleurs ça fait longtemps que je n’ai pas dévié de ma page !]. Et la buanderie, ce sont les pensées, justement. Les machines qui tournent en permanence, ce sont les pensées dans votre tête [j’aurais plutôt dit que c’était Roman qui se pissait dessus un jour sur deux, mais soit]. Mais vous voyez, les pensées, vous avez l’air de dire qu’elles permettent à tout le reste, à toute la maison de bien fonctionner. Alors, ce n’est pas nécessairement un problème…
Le problème, c’est que ça coûte cher en lessive, j’aurais dû lui répondre. Mais au fond, je n’y ai même pas pensé : je ne pensais pas à grand-chose. J’étais bien.